Les Éléments Clés d'une Vision et d'une Stratégie Produit : Partie 1
Combien de fois avons-nous vécu l’histoire d’un produit prometteur qui n'a jamais décollé ? Tout semblait parfait : une idée innovante, une équipe motivée, des moyens, mais après quelques mois, les résultats sont décevants. Pourquoi ? Très souvent parce que le produit n'avait ni vision claire, ni stratégie solide pour guider son développement.
Pour éviter ce piège et faire d’un produit une réussite, l’expérience m’a appris qu’il est crucial de bien définir une vision produit et une stratégie produit d’entrée de jeu. Elles vous permettront d’établir une direction claire, pour vous guider, vous et votre équipe, et aligner vos parties prenantes autour d’objectifs communs.
Voici le fruit de mes apprentissages, basés sur mes expériences concrètes ainsi que l’influence de la communauté Product, en particulier Shreyas Doshi, Marty Cagan et Melissa Perri.
[Partie 1] Vision Produit : Inspirer et Orienter
La vision produit constitue une boussole à long terme (18 mois à 5 ans), offrant une perspective inspirante sur l’impact que votre produit aspire à avoir. Elle est utile à plusieurs échelles, celle du “produit global” (l’offre de votre entreprise, l’application…) et aussi à l’échelle du “produit local” (le parcours que construit votre équipe, la rubrique…).
Il y a 5 éléments essentiels d'une vision produit.
1. Cible (Segment)
À qui le produit s'adresse en priorité ?
Il est crucial d'identifier le segment qui sera votre cœur de cible, c'est-à-dire le groupe de personnes qui bénéficiera le plus de votre produit. Ce segment cible qui sera votre priorité stratégique a besoin d’être précis et de représenter une fraction de l’audience totale potentielle, pour éviter de vous disperser sur des problématiques trop nombreuses et parfois contradictoires. Un bon indicateur d’une cible bien choisie est qu’il y a plus de personnes en dehors de ce segment qu’à l’intérieur.
Exemple : imaginons que vous travaillez pour une marque d’équipements sportifs et concevez une application de fitness. Parmi vos segments potentiels, vous identifiez les "débutants en fitness" comme une bonne cible, car ils représentent un groupe ayant des besoins clairs et une forte probabilité de bénéficier de votre produit. D’autres cibles pourraient être les sportifs aguerris ou les clubs de sport.
Comment identifier la bonne cible ?
Une technique que j’ai parfois utilisé pour choisir le bon segment d’utilisateurs à cibler est d’évaluer sa taille et l’impact potentiel qu’on peut avoir (il s’agit du Reach et de l’Impact du framework RICE). Plus le score Reach x Impact est élevé, plus le segment est intéressant. Ce n’est pas une science exacte, mais c’est une manière simple d’éviter une grosse erreur.
Exemple : plus de la moitié de la population ne fait pas de sport, alors que seuls 5% de la population mondiale fait du sport tous les jours et la moitié d’entre eux le font en club de sport (Reach = 50, 5, 2,5). Par ailleurs, selon l’OMS, faire 150 minutes d’activité physique par semaine peut réduire de 30% le risque de maladies cardiaques (impact fort, 5 sur une échelle de 5) alors qu’on peut imaginer avoir un bénéfice faible pour les sportifs aguerris. Le score Reach x Impact est donc de 50 x 5 = 250 alors que pour les sportifs aguerris il est de 5 x 1 = 5. Le segment des débutants est donc très intéressant.
2. Objectifs
Quels sont les objectifs de vos utilisateurs ?
Sur la thématique que vous avez choisi pour votre produit, vos utilisateurs essaient d’atteindre un résultat qui améliore leur vie d’une certaine manière (outcome) qu’on tente d’atteindre par un proxy qui est un usage de notre produit (un Job to be done).
Identifiez clairement les Job to be done de vos utilisateurs, et identifiez les comportements qui vont montrer qu’ils atteignent leur objectif. Puis définissez les métriques qui vous permettront de mesurer ces comportements. Idéalement, il s’agit d’abord d’une métrique qui capte l’ensemble des comportements que vous visez (North Star) que vous pouvez découper en Contributeurs (Inputs) plus actionnables. A ce stade, l’idéal est de décrire ces objectifs avec des mots pour bien transmettre le sens de ce que vous cherchez.
Exemple : une application réussie permettrait aux débutants en fitness de perdre du poids. Un comportement d’utilisation de notre produit qui permettrait de perdre du poids serait de faire plusieurs activités sportives par jour.
Quels sont vos objectifs business ?
Vous et/ou votre entreprise (ou service public, association, organisation…) avez certainement des objectifs si vous vous lancez dans cette aventure. Quels sont-ils ? Il est essentiel d’être explicite sur le résultat que vous recherchez en investissant vos efforts dans ce produit.
Exemple : la marque d’équipements sportifs qui lance ce produit espère augmenter ses ventes et ses marges, et pour y parvenir le leadership a fait l’hypothèse que d’avoir une relation directe avec une large base de sportifs qui ont besoin d’être équipés serait une large base de prospects peu coûteux.
Quelles sont les métriques clés ?
Maintenant que vous avez une vision claire des comportements utilisateurs que vous cherchez à déclencher chez vos utilisateurs, traduisez-les en métriques (KPI) qui vous permettront de voir que vous êtes en train de changer la donne. Ces KPI (qui seront votre North star et ses Contributeurs) doivent capter des comportements et être observables dans un temps court (à la journée, à la semaine). Il est essentiel de pouvoir constater les changements de comportement très vite quand vous introduirez des nouveautés, cette capacité est l’une des pierres angulaires de toute la démarche Produit.
Exemple : notre North Star pourrait être le nombre d’utilisateurs faisant 15 minutes de sport par jour, constitués d’un nombre d’utilisateurs de l’application, d’une fréquence d’utilisation et d’une durée moyenne d’utilisation.
Relier les comportements utilisateur aux impacts business
Vous devez également être explicites sur métriques business que vous cherchez à faire évoluer. En bout de chaîne, il s’agit généralement de revenus ou de coûts que l’entreprise comptabilise dans son P&L. Ils sont souvent traduits par un premier niveau de proxy (nombre de ventes, panier moyen, taux de churn, temps de traitement…). Identifiez bien ces métriques et écrivez les formules de calcul qui permettront de traduire les usages de vos utilisateurs vers ces KPI, c’est ça qui vous permettra de démontrer l’impact de votre produit et de vous aligner avec vos parties prenantes.
Exemple : la plupart des débutants en fitness ont besoin d’un équipement sportif, s’ils aiment notre marque et notre application de fitness is ont une forte probabilité d’acheter des produits chez nous. On peut donc poser un lien Daily active users > Prospects > Ventes qui va a améliorer le P&L de l’entreprise.
3. Problèmes (Pain points)
Quels sont leurs principaux pain points de vos utilisateurs ?
Une fois que vous avez une définition précise de votre segment cœur de cible, et de l’objectif que vous souhaitez permettre à vos utilisateurs d’atteindre, il faut comprendre ce qui les en empêche aujourd’hui.
Le but est d’éviter de travailler sur une intention floue. Vous devez adresser en priorité ce qui empêche les utilisateurs que vous visez d’atteindre leurs objectifs aujourd’hui.
Il est important d’aborder les problèmes de vos utilisateurs avec une approche factuelle et rigoureuse. Cela implique de réunir des preuves tangibles comme des témoignages, des données ou des observations qui démontrent les points de friction. Si vous n’avez pas de preuves qui démontrent la réalité d’un pain point, partez du principe que c’est sans doute une idée reçue et qu’elle est fausse. La plupart des échecs commencent par des convictions erronées, manquer de rigueur dans l’identification des problèmes à résoudre c’est foncer droit vers un échec.
Exemple : notre research nous apprend que les débutants en fitness souhaitent perdre du poids en faisant du sport, mais ont du mal à s’y mettre de manière régulière parce qu’ils ne savent pas quelles activités faire, qu’ils manquent de temps, qu’ils manquent de motivation et qu’ils ne voient pas ce que ça changera à leur poids.
Comment identifier les principaux pain points ?
Si vous faites un travail de recherche approfondi, vous identifierez beaucoup de pain points chez vos utilisateurs. Pour correctement orienter votre produit, vous devez vous focaliser sur un très petit nombre de problèmes (2 ou 3), ce qui implique de bien les prioriser. Ici aussi j’aime bien utiliser le framework RICE en évaluant le Reach (proportion de mon segment cible impacté par le problème) et l’Impact (à quel point ce problème empêche les utilisateurs d’atteindre l’objectif), puis en les pondérant par la Confiance qu’on a dans notre estimation d’Impact (j’utilise le Confidence Meter qui définit un score de confiance en fonction du type de preuves sur lesquelles je me base). Plus le score Reach x Impact x Confiance est élevé, plus le pain point est important à adresser.
Exemple :
30% des utilisateurs potentiels qu’on a interrogé disent qu’ils ne font pas de sport parce qu’ils ne voient pas bien combien de poids ils perdraient et on sait qu’en leur montrant le poids perdu on aura un impact moyen (3 sur 5) sur eux parce qu’ils connaissent leur évolution de poids avec leur balance. Nous estimons cet impact grâce à des entretiens, le score RICE est donc de 30x3x3 = 270.
50% des personnes qui ne font pas de sport manquent de temps, et on sait que 96% des personnes qui font 15 minutes de sport par jour perdent du poids grâce à des études médicales à grande échelle (impact 5 sur 5). Le score RICE est donc de 50x5x10 = 2500.
On en conclut que le premier pain point à adresser est le manque de temps.
4. Solutions
Quelles sont les solutions envisagées ?
Il est important d'illustrer les solutions que vous envisagez pour résoudre les problèmes de vos utilisateurs. Cela peut inclure des maquettes, des prototypes ou des descriptions détaillées des fonctionnalités.
Il ne faut pas à ce stade entrer dans des détails trop opérationnels. L’objectif est de fournir une direction claire, d’aider toutes les parties prenantes à comprendre l’ambition de votre produit (la vision) tout en laissant place à l’imagination et à l’exploration qui seront le travail de l’équipe tout au long du chemin. On ne cherche pas à ce stade à produire une liste priorisée de choses à développer, on cherche à transmettre la grande idée.
Exemple : on imagine une application dans laquelle on propose aux débutants en fitness pressés des activités simples et gamifiées qu’on peut faire en quelques minutes chaque jour.
5. Vision (Phrase Inspirante)
Résumez le tout dans une phrase concise et inspirante qui articule le problème et la manière dont le produit entend le résoudre.
Exemple : « Nous permettons aux personnes pressées de perdre du poids en faisant quelques minutes de sport par jour. »
Pour conclure sur la vision produit, voilà mon template, fortement inspiré de la Product Vision Board de Roman Pichler
A suivre dans la partie 2, un focus sur la stratégie produit.



Bonjour Cory, merci pour ton article très intéressant. J'aimerai bien saisir un peu plus le concept du RICE : Dans les exemples que tu as présenté, nous avons un groupe au fort reach et fort impact, et un autre au faible reach et faible impact. N’existe-t-il pas également des situations plus complexes, où l’on se retrouve avec un fort reach mais un faible impact, ou à l’inverse un faible reach mais un fort impact ? Et dans ces cas, comment déterminer la meilleure cible à choisir ?